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Bondissant vigoureusement sur son lit en plumes, Gaistax sentit monter un rot dans sa gorge de Sandragon, mais, quand il ouvrit sa gueule de saurien, n’émit qu’un hoquet ridicule.
Cependant, le mouvement avait produit un effet physiologique. Gaistax tâta la frêle érection qui piquait du nez dans son drap de coton, referma sa main écailleuse dessus, et demeura immobile, cherchant à deviner ce qu’il allait faire. Sa chemise de nuit en flanelle pourpre remontée sur la poitrine, son ventre parfaitement dessiné saillant sur le matelas, il songea avec tristesse qu’au bout de quelques années de pratique seul avec son violon d’Ingres, il en avait fini avec la mécanique répétitive de l’art de Manex, la déesse des pensées libidineuses.
Puis, il pensa fermement à Lysangard, la déité de la guerre, et son épée forgée dans la gueule fumante du cadavre de Mastaphor, appelée Éclat-du-Soleil. L’apparition du Dieu du Panthéon sur le rebord de son lit le ramena à sa manipulation, les yeux du Prince se dilatèrent alors, se demandant par une pensée futile s’il avait encore des mouchoirs en soie dans sa piaule.
Le lendemain, malgré la fraîcheur et l’humidité que la ville d’Ipharial pouvait apporter au bastion, la matinée se teintait de cette chaleur soudaine qui adoucissait toujours les Dragons Pourpres, le nom donné à la troupe d’élite, quand ils voyaient leur Prince déambulant torse poil dans les couloirs de pierre.
– Ah, votre Altesse ! La nuit fut-elle bonne ?
Le Mestre des Dragons Pourpres, Kaine, un Argalire aux yeux alizarins, se déplaçait précautionneusement sur le sol d’ardoise ébréché dans ses pantoufles de feutre mauve. Le Prince, lui, ne broncha pas.
– Venez, venez, asseyez-vous, je m’en vais vous apporter votre petit déjeuner.
Comme toutes les pièces du bastion, le réfectoire était sombre : le papier mural graisseux représentant des illustrations de Lysangard et les moulures de bois brun auraient suffi à transformer toute lumière en pénombre, si l’âtre de cheminée où grillait de la viande et si Eclat-du-Soleil ne dégageaient pas autant d’incandescence.
Kaine versa un énorme verre de lait bouillant dans un calice transpirant le quibus, et glissa deux côtes de cheval huileuses dans une assiette qu’il tendit au Prince. Prince qui était d’ailleurs occupé à saluer ses compagnons d’arme l’écailleux séant ancré sur son tabouret.
– Tenez, votre Altesse, votre dose de protéines ! Car oui, pendant que je vous apporte les doléances journalières, il faut que vous vous sustentiez. Lysangard a besoin que son élu soit en forme !
Malgré ses atours écarlates, son teint blême et sa chevelure de poix lui donnaient l’allure d’un cadavre ambulant. Sous sa capuche à larges bords, Kaine avait le museau crasseux et ridé. Même ses dents en pointe étaient brunes, sous les bavures rouges laissées par sa gourde qu’il se plaisait à téter.
– Bon, première missive, votre frère…
Gaistax se frotta la nuque et mastiqua nerveusement.
– Il râle sur le fait que vous soyez toujours au-dessus de lui sur le concours des hommes les plus beaux du Kyrmor. Maintenant que vous êtes ici à Ipharial, il souhaiterait demander votre exclusion.
– Réponds-lui que c’est un con.
Le Mestre adopta un air renfrogné mais entreprit de répondre à la missive de sa plume de bernache néné. Il se racla la gorge et cracha sur la lettre, un mollard d’un rouge luisant vola se coller sur le cachet de cire aux armoiries Kyrmoriennes.
– Bien. Deuxième missive. Des villageois situés à une bonne demie-lieue du bastion disent que votre dragonne, Athassyor, a dévoré tous leurs karakuls ainsi qu’un couple de marchands Elazhiens.
Le Sandragon leva les yeux au ciel, puis grommela en plantant son couteau dans la deuxième pièce de barbaque qu’il venait d’entamer.
– Ils m’emmerdent, eux aussi. Envoie-leur un colis avec de l’avoine pour leurs chevaux, quelques œufs d’oie, et dix pièces d’or. Hors de question que j’attache Athassyor.
L‘Argalire acquiesa avec morosité. Il remplit à nouveau le gobelet d’argent de son Prince de lactose liquide, gratta quelques mots sur le papelard, et s’inclina avec raideur.
– Enfin, la dernière doléance. Des Ghadusiens ont organisés des festivités en bordure de ville en l’honneur de Koeros, une sorte de tournoi mariolé. Notre envoyé nous signale qu’une folle rumeur circule à propos de Dragons Pourpres invités là bas, chose qui risquerait de ternir un peu la réputation de votre troupe d’élite…
Le lait bouilli était d’une tendresse presque maternelle. Gaistax le fit rouler sur sa langue et l’avala avant de trancher :
– Nous avons les noms des invités surprises ?
– Nenni, votre Altesse. Juste que les festivités commencent aujourd’hui.
– Bien. J’irais voir par moi-même.
– Comme il vous plaira, mais, soyez prudents, je vous en conjure.
C’était un bon conseil, le Prince le savait. Mais, impatient d’agir, il prit une dernière lampée de lait, se libéra violemment et se rua hors du réfectoire alors que le Mestre était penché obséquieusement sur son épaule.
Gaistax soupesa la ceinture dorée qu’il ne quittait jamais, tannée pour ses hanches musclées, puis attachant le fourreau à l’épaisse liane de cuir qu’il se noua autour de la taille, en tira sa première épée.
La lame était droite et lourde, en pur acier Kyrmorien, la poignée en os enveloppée de peau de dragon, le pommeau, une pierre noire, lisse et polie. C’était une arme simple mais parfaitement équilibrée, souvent caressée avec des chiffons imbibés d’huile.
– Mais t’es pas aussi belle que l’autre, ma chérie, se dit-il, avant de prendre Éclat-du-Soleil qui traînait à côté de son assiette entamée.
A l’extérieur du bastion, les écuyers apportèrent le cheval du Prince, aussi noir que la nuit. Il avait un harnachement de satin pourpre orné d’un dragon bicéphale, ainsi qu’une armure, un caparaçon et des œillères d’or. Un intense murmure d’excitation parcourut les soldats dehors, s’apprêtant à partir en équipant leurs destriers aux apparats flamboyants.
Le Mestre accourut, haletant, la plate princière en main qu’il s’empressa de plaquer sur le dos ailé de son Altesse. Une fanfare de trompettes annonça un départ imminent vers Ghadius, et les hérauts crièrent « Pour Lysangard !«
-Attendez, attendez. Encore quelques instants, d’abord le gambison… puis on fixe les ailettes, les cubitières… Maintenez le dos droit… Dites-moi, pourquoi ne partez-vous pas avec Athassyor ?
-Elle a ses lunes. Je ne préfère pas.
-Ses lunes ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, votre Altesse ? Votre dragonne a-t-elle décidé de devenir astrologue ?
-Oh, vieux Kaine, ne fait pas l’ignorant ! Comme si tu n’avais jamais eu affaire à une femme, pardon, à une dragonne en période… disons, de turbulences hormonales. Elle est irritable, crache du feu pour un rien, est d’une jalousie maladive et a une fringale de cailloux chauffés à blanc ! Je te raconte pas le bordel dans la dragonnière ! Elle a même essayé d’enflammer mon gorgerin !
– …Ah, les femelles. On dit qu’elles deviennent aussi imprévisibles que les vents d’Ipharial. Mais rassurez-vous, votre Altesse, ce n’est qu’une phase. Peut-être qu’une bonne promenade vers le Rocher de Vulpin avec un petit massage pourrait la calmer.
Le Prince se laissait manipuler par le Mestre qui liait ses plaques à l’aide des armatures et des sangles tannées, échappant au passage quelques râles d’impatience.
– Et toi, Kaine. Aujourd’hui n’est-il pas ton jour d’enseignement auprès des futures recrues de la troupe ?
– Oh, non, je les laisse se battre avec le Maître d’Armes aujourd’hui. La semaine dernière, je leur ai juste fait comprendre que dans l’intérêt de l’humanité future, j’espérais qu’ils fûssent tous stériles.
L’armure segmentée posée, Kaine lui apporta la cervelière d’or ornée d’un dragon bicéphale, mais Gaistax s’occupa de l’attacher auprès de la selle de son destrier d’obsidienne, préférant avoir le crâne à nu. Il enjamba l’équidé, le cuir de la selle était tiède, signe que le palefroi avait été soigneusement pansé.
Après quelques heures de trotte, le Prince du Kyrmor, accompagné de 5 bretteurs, arrivèrent sur la zone entre le Saut de l’Elfe et la Cité de Ghadius, sur une langue de terre au fin fond d’un étrange endroit, bras mort d’un lac s’étendant à perte de vue, des serpents, des orvets et des limaces rampaient, habités par des sels minéraux, nourrissant le marécage et l’étendant au-delà. L’eau, omniprésente, semblait infinie, même pour les habitants qui rôdaient autour : un miroir noir teinté par l’acide tannique suintant des racines aériennes des cyprès.
Des serpents gisaient autour de quelques arbres, les liquidambars et les tupelos, construisant des amas de boue, grands comme des igloos ou des tipis. Ils entraient et sortaient de l’eau avec lenteur, on les voyait ramper, aussi épais que des chiens.
Dans les cieux, des vautours à tête violette planaient comme des prières silencieuses, tandis que dans les bas-fonds, les lézards et les couleuvres glissaient entre les branches, mangeant limaces et vermisseaux. Les mocassins d’eau ondulaient paresseusement aux branches des saules, tandis que d’autres serpents se prélassaient dans leurs grands nids faits de canne à sucre, de sorgho, de riz et de poisson.
Gaistax pensait que ce serait peut-être une bonne idée de sauter dans l’eau et de se noyer, sans trop savoir pourquoi. Il était sur son étalon, à l’avant d’un pont colossal, telle la sirène en bois sculptée sur un voilier, le regard fixé devant lui, surveillant le Saut de l’Elfe et la Grotte de Koeros au loin d’un œil vigilant. Par endroits, les fosses étaient sans fond, du moins le semblaient-elles ; des milliers d’années plus tôt, des cuirassés les sillonnaient, des galions aux voiles déchirées et des vaisseaux de guerre, aux pavillons de royaumes aujourd’hui déchus.
Non pas qu’il avait envie de mourir, mais il pensait à ce que ça ferait de glisser par-dessus bord, dans l’eau noire, de l’autre côté du miroir. Il s’imaginait qu’il pourrait y respirer, y être heureux, nageant parmi les crapets arlequins, avant d’absorber l’essence d’un Dragon Divin et de devenir un Dieu lui-même. Après tout, on raconte que ce serait comme ça que les Dieux du Panthéon seraient devenus les déités célèbres qu’elles sont aujourd’hui.
–Votre Altesse, marmonna un garçon hirsute, à la démarche traînante sur sa jument et dont l’immense carcasse commençait à peine à se remplir, on a repéré les manants organisateurs de la fête de Koeros. Par contre, pas de Dragons Pourpres à l’horizon.
-Participons aux festivités jusqu’à ce qu’on les croise et que je leur botte le cul, lâcha Gaistax. Par contre, je vous interdis formellement, à tous, de boire ou de consommer quoi que ce soit.
– Entendu, votre Altesse ! Nous profiterons volontiers des festivités sans nous délecter d’autre chose que ce qu’il y a dans nos gourdes, accepta poliment un Sandragon d’airain potelé avec un immense heaume à nasal.
Alors qu’ils approchaient du lieu de débauche, les chevaux s’ébrouèrent, martelant le sol de leurs sabots pour y écraser les serpents qui gisaient sur le sol.
–Foutus ophidiens ! Prenez garde, Koeros n’aime pas Lysangard et ses disciples, mon Prince, grommela un Elfe à la peau sombre qui tentait de calmer son étalon alezan. Entrons plutôt là, je garderais les destriers pendant que vous… euh… vous occuperez de la situation.
–J’emmerde le Dieu Gnome, se gaussa Gaistax. Et j’emmerde ses disciples aussi.
Le Prince et quatre de ses soldats descendirent de leurs palefrois, laissant l’Elfe seul à veiller sur les montures. La panique du garçon crevait les yeux.
En arrivant sur le lieu des festivités, les Dragons Pourpres découvrirent une dizaine de rangées de tentes qui avaient été dressées sur l’herbe grasse de la prairie. Modestes ou immenses, rondes ou carrées, certaines de toiles grossières, d’autres en lin, elles rivalisaient de couleurs violettes et vertes, surmontées de longues bannières flottant au sommet de leurs hampes. Gaistax connaissait les symboles présents, c’était ceux de Koeros et de Ghadius. Rien de choquant de prime abord.
Des douzaines de marchands avaient également installés leurs échoppes autour du campement, vendant grenades et figues, bottes et ceintures, faucons de chasse et poteries, et bien d’autres choses encore. Jongleurs, bardes et troubadours opéraient parmi la foule… de même que les putains et les coupeurs de bourse. Prudents, Gaistax gardait une main sur la sienne.
Un Elazhien à la crête auburn vendait des casques décorés de bêtes formidables ciselées d’or et d’argent. Plus loin, des fabricants d’épées proposaient leurs lames, mais le Prince avait déjà ce qu’il fallait. Avant de repérer une épée gravée aux armoiries du Kyrmor, avec un dragon bicéphale sculpté sur le pommeau.
-Eh bien, bel objet que tu as là.
-Oué, y font d’belles choses, chez les bourges.
Trapu, le vendeur ne faisait pas plus d’un mètre cinquante de haut mais était aussi large que Gaistax. Il avait une barbe noire, des paluches énormes et pas la moindre trace de stupéfaction de se retrouver devant l’héritier du trône Kyrmorien.
–Je devrai te rosser copieusement et te balancer dans le Lac pour détenir ceci. Ça ne t’appartient pas, c’est la propriété des Dragons Pourpres. Où as-tu obtenu cette arme ?
Le barbu se gratta le crâne, et voyant que son interlocuteur n’avait pas le ton de la plaisanterie, ouvrir une sorte de petit livre des comptes en faisant claquer d’un geste semi-professionnel la pointe d’une plume à moitié dévorée par les mites. La pointe était tordue et se rétracta quand il tenta de souligner un glyphe. Il renouvela son geste avec davantage d’énergie, mais, rétive, la pointe se brisa derechef.
Abattant furieusement la plume sur son tréteau, il prit une autre plume, de mainate cette fois, et ponctionna de son extrémité le cérumen de ses oreilles avant de se braquer dans le mutisme.
–Ecoute, connard, dit le Prince en levant son grand crâne saurien, J’ai autre chose à foutre que de traîner mon oisiveté dans un festival en l’honneur de ton putain de Koeros, ton Dieu du mensonge et des maladies. Donc soit tu me réponds, soit tu meurs comme comme le fieffé imbécile, l’âne bâté que tu es.
Le marchand se racla péniblement la gorge et une épaisse perle de sueur acide se forma sur son front ridé.
– Behhh, chai po vraiment. Spa moi ! Y semblerait que des Dragons Pourpres étaient invités à la sauterie et qu’on leur a tendu un gétépan.
– Un quoi ?
– Un gueux tanant.
– Un guet-apens ?
– Oué, un truc d’genre, Sir. Un gay tapant.
Gaistax pris l’épée, la tendit comme s’il s’agissait de la robe d’un lépreux à l’un de ses soldats, devant l’air ahuri du barbu qui essuya un épais mollard coulant de ses naseaux entourés de poudre. La troupe continua sa traversée du campement, le ciel était d’un bleu dur, et il n’y avait pas le moindre plumet de nuage. Ça aurait pu être une journée de maraude idéale si le meurtre d’un, voir de plusieurs Dragons Pourpres n’avait pas été évoqué par un mariolé.
Ils marchèrent d’un pas lent, analysant à courtes foulées les étaux, les manants, les encapuchonnés, les marchandises, avant que le Prince ne se retrouve nez à nez devant une grande Tieffeline molle et pulpeuse, atourée d’une robe en damas vert sombre bordée de dentelle d’Emrill et si longue que ses ourlets traînaient dans les mauvaises herbes. Une résille d’argent couvrait des cheveux auburn coiffés en une espèce d’étron, mais ce qu’elle avait de plus rubicond, c’était son visage. La seule chose belle dans cet amas de mollesse et de balourdise était un énorme cabochon d’améthyste attaché à sa corne droite, pincé sur une rose bigarrée.
–Mais ! gloussa t-elle, c’est le Prince Gaistax ! Le frère du Prince Lubrique !
Le Sandragon se rembrunit.
–Plaît-il ? Si c’est pour me parler d’Urrax, vous pouvez…
Elle émit un ululement de délices si ahurissant que Gaistax se demanda si elle n’avait pas touché à la mariole.
–Je suis Dame Laetitia d’Emrill ! Quel plaisir de vous rencontrer ! J’ai beaucoup fréquenté votre frère quand il était en terres Emrilliennes, nous avons…
Elle lâcha là-dessus un pet qui coupa court à sa lubrique homélie.
–Olala ! Ciel ! Excusez mes vents ! Voilà l’effet que ça produit, manger du pain d’orge dans la Cité de Ghadius…
-Je vous saurai gré d’être brève, Madame. Je n’ai pas que ça à foutre.
-Oh, pas étonnant que vous êtes affublé du sobriquet de Prince Querelleur ! Les problèmes physiologiques, ça arrive !
Dame Laetitia était carrée, trapue, grasse, et elle avait un crâne singulièrement pointu que son échafaudage de cheveux ne réussissait guère à dissimuler qu’en partie. La lippe trop petite et le nez en forme de cucurbitacée découragea le Prince et ses sbires de toute velléité de galanteries.
Des tas de Ghadusiens s’amassaient autour d’eux. Les Dragons Pourpres sentaient peser sur eux des regards inamicaux, étant habitués des castagnes dans la Cité d’Améthyste, l’accueil était donc des plus électriques.
–Messire, si vous voulez bien vous éloigner un peu avec moi. J’ai sûrement de quoi épancher votre soif…
-Ça ira, Madame. Nous ne sommes pas là pour festoyer.
–Je ne parlais pas de cette soif là, Sir. Mais de votre soif de… confidences.
Sa bouche en cul de poule s’arqua joyeusement. Gaistax promena un coup d’œil sur les visages mariolés de l’auditoire qui les cernaient, et il sentit s’échauffer sa propre figure.
–Laetitia. Nous serait-il possible de poursuivre cet entretien dans un endroit plus… privé ?
–Une pièce d’argent que le fils de Vermithrax veut la tringler ! blagua un Ghadusien, ce qui déchaîna tout autour une tempête de rires gras. L’Emrillienne eut un hoquet de ruminant, tout en levant ses mains boudinées et tapissées de tâches pour cacher ses joues trop fardées, puis pointa de l’index une tente de laine aussi pimpée que ses atours, et enfin se dirigea comme une guigne vers l’endroit en question. Le Prince et sa troupe la suivirent dans son sanctuaire gardé par un Orc Rezien aussi grand que mollasson, probablement loué pour l’escapade.
La guitoune empestait le pied d’alouette, le seringa, la négligence intime et probablement d’autres fumets qu’il n’est pas bon d’apposer à l’écrit sans risquer le dégoût du lecteur. Il faisait néanmoins sombre et frais, mais, en laissant retomber la portière sous leurs talons, Gaistax et ses comparses se rendirent compte qu’à part s’asseoir sur le lit ou sur le sol caillouteux de l’auburnette, il était impossible de prendre place posément dans cette piaule de fortune.
-Sauf votre respect, Sir, vous rappelez à s’y méprendre votre frère.
-C’est effectivement une pauvre copie, sans force ni courage, oui, minauda Gaistax.
-Ah, ça ! Il est néanmoins plus richement vêtu que vous, repartit la goujate en prenant appui sur le rebord de son pieu. Sir Urrax dépense pour sa parure plus que la moitié des dames de la cour.
La remarque ne manquait pas de pertinence. Le Prince tâta son emblème de Lysangard sur sa torque, croisa les bras et réhaussa son mouvement d’épaules, claquant ses ailes dans un bruit sourd.
-Je sais plus grave, comme crime, ne serait-ce que votre façon de vous habiller, répondit-il, ulcéré par l’impudence de l’insinuation et usant d’un ton réfrigérant. Mais si vous m’avez convié à parler de mode, j’aime autant vous dire que vous n’êtes pas le pâté qui touche la boîte, Emrilienne.
-Et vous, vous mettez le bol avant le lait, rétorqua, vexée, l’interlocutrice. Non, effectivement. J’ai vu vos Dragons Pourpres au campement la nuit dernière, venus pour s’offrir une bouffée de mariole, vu que vous avez interdit l’usage de la drogue dans votre bastion. Eh bien, ils en ont profité, ces salopards !
Gaistax dédaigna feindre la surprise. Il savait trop bien que la mariole était un fléau, et qu’une fois qu’on avait les muqueuses dedans, c’était la mort assurée. Mais il se résolut de garder son sang froid.
-Et où sont-ils, maintenant ?
-Dans le lac, étouffés par des serpents. Overdose de poudre blanche.
-Bien. Je vous remercie, Laetitia. Que Lysangard vous donne la force.
Gaistax échangea un regard blasé avec ses bretteurs, rompant le cercle devant l’Emrillienne en tournant les talons pour sortir de la tente. Malgré la nouvelle, il faisait un temps magnifique, un temps enchanteur. L’air tiède était tout appesanti du parfum de la truite grillée et des effluves de violettes. Les Dragons Pourpres rejoignirent leurs palefrois, et les coursiers bai noir, une fois montés, partirent comme le vent.
Ils tournèrent bride vers Ipharial dans un mutisme absolu, et après plusieurs heures, trouvèrent la cour du bastion paisible et déserte. Seul, aux créneaux du premier rempart, là-haut, veillait le Mestre Kaine, frileusement enveloppé dans son manteau sombre.
Par les baies ouvertes se déversaient derrière Gaistax un léger flot de musique, ponctué de petits hoquets d’Izus vaillants. Les cinq soldats glissèrent de leurs destriers, laissant les écuyers s’occuper des bêtes, et le Mestre détala alors comme une balle afin d’ôter les atours de son Altesse.
-Alors, mon Prince ? Quelles sont les nouvelles ?
-De la merde. Ils sont morts, surdose de mariole.
-Je vois, dit l’Argalire, qu’Ashed les amène au bout du chemin.
Aussi Gaistax ne poussa pas le dialogue, laissant le vieux Kaine suspendre à un crochet du mur les premiers accoutrements aux armoiries Kyrmoriennes, avant de dépouiller plates, cotte de mailles, cuirs et le lainage humide de sueur. Malgré les quartiers de charbon qui brûlaient dans des braseros de fer aux deux extrémités de l’entrée du bastion, le Prince grelottait. Où qu’il allât, le froid l’accompagnait presque en permanence. Encore un an à Ipharial et il ne saurait même plus ce qu’était la sensation du chaud… sauf quand il sortait Éclat-du-Soleil de sa gaine en bois recouvert de cuir de tarasque.
Le Mestre lui glissa sur son torse nu son peignoir ordinaire de grosse bure pourpre, puis valdingua en direction du réfectoire, laissant le Prince partir vers ses appartements. Ceux-ci étaient de loin les plus douillets du bastion, il y était même rarement nécessaire d’y faire allumer plusieurs feux.
Il posa le séant sur les fourrures du pageot, et dégaina Éclat-du-Soleil de son fourreau. Malgré les flammes vacillantes qui s’en dégageaient, il pouvait entre-apercevoir son visage de Sandragon bleu à travers les crépitements, et esquissa un sourire lubrique.
“Putain…” siffa t-il, posant l’arme à la verticale sur le rebord de sa table de chevet, pommeau plaqué contre le tiroir. Puis, avec une précision quasi-chirurgicale, ôta la buffleterie autour de la taille, puis enfin, le déshabillé, qui glissa mollement à ses pieds. Son écailleux instrument se mit à frémir à la vue de l’épée légendaire, alors le Prince se saisit du casque de l’outil avec le pouce et l’index d’abord, avant d’y enlacer toute sa main à la vue de l’épée de Lysangard. Il exerça alors son impulsion charnelle, ne lâchant pas du regard la lame incandescente, usant de son imagination pour invoquer la déité querelleuse en face de lui.
Quelques minutes seulement suffirent à Gaistax pour extirper sa confiote d’ivoire sur les lattes d’acajou, laissant échapper un déferlement de petits cris suraigus de sa gorge haletante. L’effort lui provoqua un bâillement, suivi d’une mollesse de buccin, forçant le vidé à s’allonger de son long sur le plumard. Il bailla férocement, et en l’espace d’un instant, se mit à ronfler.
Dans un laps de temps qui sembla plutôt longuet, on heurta à la porte, et sans ménagements. Le Prince grommela, remontant les fourrures jusqu’à son menton, avant de rouler sur le côté.
–Qu’est-ce qu’il y a ? Qui me dérange ?
-Vous avez de la visite, votre Altesse. C’est une Tieffeline Emrillienne. Elle a quelque chose pour vous, il semblerait.
-J’avais interdit les visites nocturnes, vieux Kaine.
-Oui, mais elle insiste.
-Bon. Introduis la.
Gaistax enfila à la hâte son cafetan pourpre, puis se dirigea vers l’entrée de son appartement, manquant de piétiner la semence blanchâtre qu’il avait extirpé auparavant. Cette vision lui provoqua un air de dégoût, tandis que pénétrait la visiteuse.
Il attendit que la porte soit refermée pour s’adresser à la protagoniste, déployant lestement ses ailes.
–Laetitia ? Qu’est-ce qui me vaut ce dérangement ? grogna Gaistax d’un air agacé.
–Oh, Sir, daignez de me pardonner de troubler votre repos, mais j’ai quelque chose à vous dire…
Elle avait troqué sa robe corsetée pour un bliaud de soie prune orné de soieries et de glyphes cotonneux, et ses cheveux étaient simplement détachés, ondulant en cascade sur ses épaules rubescentes. Impossible de dire si ses joues rougeaudes étaient trop fardées, ou si elle avait la couperose.
–Je dois vous faire un aveu, Sir. J’ai imploré les dieux de m’épargner le ridicule de cette confession, et je me suis empressée d’effectuer une pression des plus timorées sur ma pouliche pour revenir vous voir.
-Vous allez me dire quoi ? Que je suis plus beau que mon frère ?
Laetitia sut rougir avec bonne grâce, ramenant son disgracieux faciès à une sorte d’orbe vultueuse et cramoisie, et hocha son double menton en fixant de ses orbites caves le Prince. Puis, elle posa son grand fessier limé de grenouille sur un coussin de brocart brodé d’or.
–Déjà, c’est une certitude. Mais en plus, je… Quand vous êtes venu tout à l’heure. Eh bien… J’ai eu la sensation de voir Lysangard lui-même, et je ne peux ôter cette vision de mon esprit.
Les yeux du Prince brillèrent d’une lumière mordante. La mondaine cornue n’avait beau ne pas l’exciter d’un iota, sa verve avait éveillé en lui un désir mêlé d’une certaine compassion pour l’hétaïre, ce qui lui provoqua une certaine déconvenue de montée sanguine sur le corps caverneux.
–Eh bien… marmonna t-il, je dois dire que c’est un sacré hommage. Et vous venez, comme ça, en pleine nuitée, pour me balancer vos louanges juste parce que je vous rappelle le Dieu Querelleur ?
La Tieffeline pouffa, un rire gras et rauque résonna alors dans la pièce comme le croassement d’une pintade ravie à l’idée d’être farcie.
–Oui, j’ai envie de vous. Je ne veux pas être prise par Ashed avant d’avoir eu une expérience avec un Dieu, enfin, un Dieu en devenir.
-On peut dire que vous êtes franche, qualité rare chez les Emrilliens… maugréa Gaistax, observant les traits dissemblables et les membres conçus par un apprenti sculpteur plutôt bourru de son interlocutrice, ce qui lui fit descendre la pression sanguine qui s’opérait derrière le nœud las de son peignoir.
–Je sais de quoi je parle, je sais reconnaître un Dieu quand j’en vois un !
-Ah, parce que c’est commun, chez vous, d’aller réveiller les dormeurs pour leur faire des avances nuptiales en les comparant à l’un des Seize ?
-Non. J’ai croisé une fois un petit gnome qui m’a rappelé Koeros directement. Et là, vous, vous êtes Lysangard. Les Emrilliens ont un lien étroit avec la magie et les divinations, votre Altesse… enfin, je veux dire… votre Déité Absolue.
Du bout de l’index, il lui releva le menton graisseux, de manière à ce qu’elle le regardât dans les yeux. Il la dominait de très haut, comme il dominait un chacun. Sans brusquerie, il la saisit par les aisselles, sentant deux petits buissons sous la friction du bliaud, puis la hissa sur le lit de plumes. Puis il s’assis, vis à vis d’elle, et entreprit de la dévêtir.
–Répète moi ce que tu m’as dit… lâcha t-il brusquement en déshabillant la porcinette, jetant sa robe là où il avait fusé la matinée comme pour effacer la trace de son plaisir matutinal, avant de la faire pivoter sur le ventre.
–Vous êtes un Dieu !
-Oui, mais lequel ?
-Vous êtes Lysangard !
Le Prince dénoua alors son caftan pourpre, puis parcourut du dos de l’index de Laetitia le sillage de son échine, avant de se rendre compte qu’il lui manquait une chose. Une chose essentielle à son plaisir à lui.
Il s’empressa, sans un mot, de placer Éclat-du-Soleil à côté du corps nu de sa visiteuse nuiteuse, qui était étalée comme une étoile de mer sur la literie, les cuissots veinées de bleu semblables à des myriades de vermisseaux enfermés sous une épaisse couche de graisse translucide. Là, l’excitation repris de plus belle, et il fixa l’arme légendaire avant de monter la boudinette.
–Allez, comment je m’appelle ? gueula t-il en effectuant sa saillie avec férocité.
–Lysangard ! Le Dieu Lysangard !
-Et qui est le plus fort ?
-C’est vous ! C’est vous !
L’assaut était des plus cocaces, Gaistax faisant battre son giron sur le séant limé de la fausse ribaude avec toute la frénésie possible, virilisant sans vergogne ses poignées d’amour en les compressant, élevant fermement la croupe de la femelle gloupissante pour la cavalcader tout en ne détournant pas son regard d’Éclat-du-Soleil.
–Arrête de gémir, femme, maugréa le Prince, calant son écailleuse main sur la fente mauve à vif de l’entrelardée qui s’exécuta en enfonçant alors sa longue tête porcine dans l’édredon.
Au bout de longues minutes et à force de volonté et d’imagination à penser à la Déité de la guerre, Gaistax laissa échapper la force liquide qu’il sentait sourdre au fond de lui. Il s’agrippa férocement au croupion de la léthargique, grogna par saccades avant d’écarter brusquement les yeux et de gratifier le séant de l’Emrilienne d’un regard où ne se lisait rien d’autre que de la répulsion, rien d’autre que le plus infâme mépris.
Tandis qu’elle se releva péniblement, il se croisa les mains, les mit au repos sur ses abdominaux transpirants et lâcha un râle agacé.
–Oh, Sir ! Les paupières bouffies d’œdème de la Tieffeline lui donnaient l’air d’avoir somnolé. C’était incroyable ! Vous êtes un Dieu, c’est certain. J’en suis retournée. Par contre, je meurs de soif…
Gaistax acquiesça d’un signe dont la lenteur implacable évoquait l’avance d’un glacier, et caressa pensivement son ventre en admirant Éclat-du-Soleil qui gisait à gauche de l’encornée à basse vertu. Il s’approcha de la poignée, son cœur battant à l’unisson de la flamme qui dansait au cœur de la lame, et caressa la garde, avant de replacer la convoitée à la verticale contre la table de chevet. Tournant les talons pour remettre son peignoir, il eut un reniflement de mésestime en zieutant Laetitia remettre avec difficulté ses apparats, puis se décida à poser deux verres en grès sur la table.
–Je vais chercher une œnochoé dans le réfectoire, j’ai pas envie d’avoir une morte d’anadipsie dans ma piaule. J’ai déjà assez de gens ici qui se foutent en l’air avec la mariole.
–Merci, Sir, vous êtes bien urbain ! dit Laetitia, comprenant qu’après le verre, elle serait conviée à partir et non à partager la couche du Prince.
-Je suis de retour dans deux minutes. Rhabillez-vous en attendant.
Elle laça ses godillots, remis en place sa chevelure en pressant ses boucles et regarda autour d’elle où plonger sa conscience ailleurs que dans les yeux de Gaistax qui n’attendait que son départ, en dépit de rapports cordiaux. Elle jeta un coup d’oeil circulaire, entrevit quelques tuniques de laine pourpre, des coutelas, une statuette de bois représentant Mastaphor, ainsi qu’une lettre ouverte et cachetée d’une cire dorée. Plaçant ses yeux cireux et l’aigreur vineuse de son haleine sur la missive, elle se dérida à la lecture du texte.
“Palais royal du Kyrmor, 1556 C.M, troisième jour d’Anima
Je n’ai de cesse que les rhapsodes du Kyrmor te surnomment le Prince Soudard, fils. Si tu ne m’as donné nul sujet de te déposséder, je ne saurais toutefois te laisser hériter du Trône, et encore moins ton concupiscent et libidineux frère. Le Royaume doit aller à un homme assez solide pour gouverner, et ni l’un ni l’autre en êtes digne. Aussi ai-je décidé que tu annonceras aujourd’hui même ton intention de prendre ta troupe et tes armements et de renoncer à toute prétention sur ma succession jusqu’à ce que tu sois moins borné et moins querelleur. Si tu n’y consens, demain aura lieu une virée en Terres d’Elazh où tu auras fait une chute mortelle dans un piège Sivien… du moins, c’est ce que je dirai à la cour. Les ressources de leurs cœurs faiblards leur permettent de chérir même des êtres de ton acabit, et je ne tiens pas à les peiner. Tu partiras donc dès le crépuscule vers Ipharial, la Cité du vent. Ne va pas pour autant te figurer que, s’il te prenait fantaisie de me défier, tu t’en tirerais sans dommage. Rien ne me procurerait autant de plaisir que de te traquer pour te trancher la gorge avec Éclat-du-Soleil, en porc que tu es.
File donc avec cette arme et revient quand tu cesseras de te prendre pour un Dieu, alors que tu n’es qu’un couard.
Vermithrax”
Cent questions la tarabustait. Pourquoi le Roi avait autant de haine envers ses garçons ? Etait-ce à cause de cela que Gaistax était aussi irascible, et Urrax aussi impudique ? Le silence s’éternisait, jusqu’au retour du Prince qui ouvrit la massive porte de chêne de son appartement, une grosse olpé entre les doigts.
Laetitia pris quelques gorgées d’eau fraîche, fit mine de dire au revoir avec le visage ravagé de crispations nerveuses, et s’éclipsa à la hâte rejoindre son cheval. Elle était secouée de tremblements gélatineux quand elle se remis en selle.
Trois jours après cette entrevue, les appels retentirent dans la cour d’Ipharial une heure avant l’aube, alors que les Dragons Pourpres reposaient encore dans la grisaille. Gaistax se secoua rudement pour s’arracher à ses rêves, et lorsque la froidure du petit matin le heurta alors qu’il déambulait torse nu dans le réfectoire, il y trouva le Mestre Kaine les mains chargées de missives.
Avec ses gros gants rouges, sa lourde pelisse dont le capuchon l’enfouissait jusqu’aux oreilles en pointe, l’Argalire avait tout d’un zob poilu et drôlement défraîchi.
–Votre Altesse, j’espère que la nuit fut douce ! s’épanouit le Mestre clopin-clopant, apportant une assiette au Prince. Permettez-moi de vous lire les missives matinales !
Gaistax se mordilla les lèvres sans répondre, bien trop habitué à ce rituel matinal.
– Première lettre, votre frère…
-La matinée commence mal.
-Eh bien, pas tant que cela, Sir. Il vous souhaite un joyeux anniversaire.
Le Prince laissa tomber son couteau, et ricana d’un air dédaigneux.
-Réponds lui que je lui paierai une putain pour sa bonté.
-Vous êtes altruiste, en ce jour spécial.
-Une putain borgne, édentée, disciple de Koeros qui aurait toutes les maladies vénériennes que ce monde peut détenir.
Kaine tripota son collier de disciple d’Ashed, une lourde chaîne qui, sous sa robe, lui ceignait étroitement le col et dont un métal spécifique distinguait chaque maillon, excité à l’idée d’envoyer paître le second Prince du Kyrmor.
–Non, ne fait pas ça, dit-il. Réponds lui juste merci.
–Comme il vous plaira, votre Altesse, souffla le Mestre en rompant le cachet d’une deuxième missive.
Ses yeux parcoururent des mots qui, de prime abord, ne signifiaient strictement rien, puis ses doigts se raidirent d’un coup sur le parchemin déroulé. Gaistax mâchouilla péniblement un nerf d’équidé, avant de se rendre compte de l’ahurissement du Vieux Kaine.
–Parle, l’Argalire. Qu’est-ce que cette lettre raconte ?
–Des gardes du Pays de Narth qui patrouillaient non loin du Rocher de Vulpin, entre ici et Emrill, ont vu votre Dragonne, Athassyor, poursuivre une Tieffeline et abattre ses dents sur son poitrail, laissant l’obèse dans une mare de sang…
La hargne embrasa l’œil du Prince.
-On connaît le nom de cette pauvre hère ?
-Apparemment, non. Mais quand les gardes tentèrent de sauver la condamnée qui exhibait ses tripes et ses boyaux, elle leur raconta qu’elle pouvait rejoindre Ashed en paix, puisqu’elle avait pu coucher avec un Dieu.
Gaistax se mit à sourire, repoussa son gobelet de lait et se leva de son tabouret. Il posa un regard paisible sur le vieux Mestre, les deux sachant que le silence est parfois plus efficace que les questions. Puis, il se ceignit d’Éclat-du-Soleil, et retourna dans ses appartements.
A travers les meurtrières du bastion, il pouvait observer la pluie froide et hargneuse qui virait parfois à la glace, mais une pulsion particulière lui fit se précipiter dans une bulle de chaleur, esquivant ces bribes d’humidité.
Un instant suffoqué, il posa l’arme de Lysangard sur le rebord de son lit, fermant délicatement derrière lui l’immense porte de chêne. Il s’accroupit ensuite devant le foyer de sa piaule, glissa la lettre dans le petit bois, empila par-dessus plusieurs grosses bûches, et fixa de nouveau son épée.
-Putain de femmes jalouses… sussura le Prince face à l’incadescente lame, déboutonnant ses braies de velours. Toi au moins, ma chérie, tu me comprends, hein ?
Il s’approcha de plus près, souriant de toutes ses dents sauriennes, tripotant sa proéminence squameuse qui était au bord de l’explosion.
-Allez, ma chérie. Montre à ton Dieu à quel point t’es bandante…
Il se concentra sur ses manipulations, louchant à moitié sur les éclats zénithaux de l’épée, pensant fugacement à se recharger en crème, en lanière de cuir et en ombrelle de soie afin de diversifier ses futurs plaisirs solitaires.
Au sol, gisait la lettre du Roi Vermithrax, ainsi qu’un énorme cabochon d’améthyste, pincé sur une rose bigarrée. Et, à côté, une trace étalée de semence séchée.