🔞Avertissement : Le contenu suivant est réservé aux adultes et peut ne pas convenir aux mineurs. Si vous avez moins de 18 ans, nous vous demandons de ne pas poursuivre la lecture. Contient : nudité, scènes de sexe, scènes de violence🔞
Une lune plus tard, une lettre est déposée à la Maison de Vesperlin, appelé le Domaine de Cimambroise.
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À l’adresse de sa Grâce, la Duchesse Naria de Falcourt,
Par le Vicomte Dorian de Vesperlin, ce quinzième jour du mois de Fertitas.
Ma divine Naria,
Quelle audace fut la vôtre d’éveiller en moi, par votre délicieuse missive, le souvenir incandescent de notre nuit passée sous les voiles du Carré des Lys Noirs ! Ah, il est certain que votre plume, telle une flamme fougueuse, ne se contente guère d’évoquer nos étreintes passées, mais insuffle à mon âme une impatience incommensurable.
Oui, nous fûmes, en vérité, deux âmes damnées, en proie aux passions, acculées dans l’ombre délicieuse de notre alcôve, où nos corps s’entremêlèrent comme de douces lianes, effrénées et avides de l’union d’un plaisir hédoniste. Que dirais-je, si ce n’est que vos caresses, au-delà de la chair, furent des promesses indécentes d’orgies à venir, où chaque souffle était un cri muet, chaque regard, une caresse.
Votre évocation flatteuse de mon attribut – ô Manex, bénisse ce précepte sacrilège – qui à chaque fois que je pense à vous, se redresse comme un serpent assoiffé de volupté, demeura en moi, encore, tel un fantôme attisé par la braise des souvenirs. Il me rappelle la chaleur de votre chair contre la mienne, à la manière d’un drame antique où les dieux eux-mêmes s’éprennent de la désobéissance. Oserais-je vous dire, ô ma déesse de la nuit, que le souvenir de nos étreintes est devenu un nectar dont je ne saurais me passer ?
Ah ! Que j’eusse le don d’une plume plus délicate pour vous faire ressentir la fulgurance de mes désirs. Mais permettez-moi de vous soumettre, sous forme de vers, quelques pensées amoureuses, qui, j’ose l’espérer, vous feront frémir :
C’est au clair de lune, que je te prendrais,
Tes hanches, voluptueuses, j’enflammerais.
Ma langue, glissant, explorera tes abysses,
Où l’extase se cache, dans ses délices.
Soudain, emportés par le souffle du vent,
Nos âmes liées dans un bal enivrant.
Comme deux étoiles dans la nuit déliée,
Nous danserons, avides, sur cette volupté.
Je voudrais que, dans l’ombre, tu te livrasses,
À la douce folie de notre audace.
La chaleur de ta peau contre la mienne,
À l’aube des étreintes, que rien ne nous retienne.
Ô, ma bien-aimée Naria, je me languis de notre nouveau nouveau rendez-vous, cette nuit même, dans notre antre de débauche.
Je vous propose d’oser davantage, de transcender ces simples ébats que nous avons partagés. Imaginez, ma douce, nos corps entremêlés sur le sol d’ivoire, la peau contre la peau, tandis que des inconnus nous observent, leurs yeux affamés de voyeurisme. Que diriez-vous de vous abandonner à la tentation du libertinage, de vous laisser caresser par d’autres mains tout en m’enivrant de vos soupirs ?
Oh, que je brûle de vous voir vous épanouir dans le délice de l’orgie, de vous voir explorer les confins de votre propre plaisir, de découvrir chaque recoin de votre corps sous le feu d’une passion commune, une mélodie de corps qui se fondent dans la luxure. Je rêve de vous voir, la tête en arrière, hurlant de plaisir alors que d’autres s’adonnent à la volupté de votre corps, pendant que je me fais l’observateur voyeur, le témoin de votre abandon total.
Je vous attends ce soir, l’âme en émoi, impatient de renouer avec les délices de notre union.
Avec un désir brûlant et éternel,
Votre dévoué,
Dorian, Vicomte de Vesperlin
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Deux lunes plus tard, une lettre est déposée directement à la fenêtre de la jeune Naria de Falcourt. Elle est entourée d’un ruban de lin et d’un cachet de cire doré.
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À l’adresse du Vicomte Dorian de Vesperlin, par la Duchesse Naria de Falcourt, le dix-septième jour du mois de Fertitas
Ô, mon très cher ami,
Que je commençasse cette missive par une excuse, celle d’avoir tardé à vous écrire. Je fusse troublée, et la Baie du Gong s’empourprât encore bien davantage depuis hier. Je dois admettre qu’avoir passé une longue nuit de luxure, mêlée de convenances et de rigidités, eût sûrement ouvert les valves de la nature si cruelle envers nous, les femmes. Je me sens si pathétique !
Bien que vous m’eussiez dit un jour que le pathétique ne vous émouvait point, mais que la beauté, surtout lorsqu’elle émanait du plaisir, pût emplir vos yeux de larmes.
Je vous le dis, très cher, que je suis encore embuée de ces rencontres incroyables, à commencer par Sir Mastho. Sa voix ! Jamais je n’eusse entendu une voix aussi suave et ordonnée. Il eût commencé ses notes profondes, m’ordonnant d’ôter ma gaze de coton, et je m’en enivrasse alors que ses ordres me tombassent un à un dans l’oreille. Puis, il haussât le ton, sévère, me déliant le corsage : on eût cru un son de hautbois. Je m’emplisse donc de cette palpitante extase qu’on entendît juste avant l’aube et lui montrasse mon point du jour, dont il se délectât avec passion. Un assoiffé ! Avide et altéré personnage, il but ma liqueur avec tellement de fougue ! Je pusse sentir son crâne lisse libérer des effluves d’ambre gris qui émeuvent, alors que vous vous délectassiez de cette scène des plus scandaleuses. Quel bonheur que j’eusse obtenu un baiser de vous alors qu’il avait sa tête entre mes cuisses…
Puis l’arrivée de cet ami Argalire devant vous, ô somptueux personnage exhalant le fer, le spicanard et l’hovénie ! Que l’on raconte que ces créatures vampires raffolent des humaines, car nous sommes la seule race des Contrées d’Izuvis à posséder une indisposition menant à dégager de l’hémoglobine : ce fauve dût le sentir. Voyez donc comme il m’enterrât dans un parterre d’asphodèles, me secouant avec une cruauté sans égale. Que j’eusse encore hier les hanches meurtries de ses griffes, de l’avidité de ses crocs et de son vît monstrueux, qui ne cherchât qu’à faire jaillir le sang de mon chaudron. Quelle délicieuse langueur !
La culmination – que dis-je, le point d’orgue de cette soirée de damnation – fût l’arrivée du troisième bougre de cette nuitée ! Le subrécargue Shakrass, cette dose d’exotisme savamment orchestrée par vos soins, m’apportât un véritable voyage en mer tumultueuse. Que je sentisse toutes les vagues rauques et bossues qu’il eût traversées, et qu’il me noyât dans les feux dévorants du libertinage. Bien que je dois admettre qu’il n’y eût pas de plaisir plus doux, en cette nuit, que de vous voir prendre votre propre jouissance en caressant votre perche de chair, me fixant, et admirant cette pluralité des plus scandaleuses.
J’eusse été bénie par Manex en cette nuitée, mais il faut, sans vous commandez, que vous m’instruisiez encore. Il reste un sentier inexploré, si ce n’est par votre langue. Et ne vous piquez pas d’une ridicule délicatesse… Je veux que vous me saccagiez, n’en déplaise aux âmes chastes : je suis vôtre, et mon indisposition se terminera d’ici deux lunes. Je vous dois bien plus que la vie, et compte vous le prouver à nouveau dans cet écrin humant le pollen capiteux et le musc qui trouble.
Ah ! J’ai l’âme brumeuse, ce fatal voyage m’a perdu et j’ai encore tant à découvrir…Il faudra encore être discret, le Chevalier de Madelgarde compte me prendre en épousailles, je vous le rappelle. Daeron fût venu hier se présenter à moi avec un immense bouquet de cirses des ruisseaux et de scabieuses ; nous nous baladassions dans la closerie, et alors que le courtil nous entourât, il glissât une ficelle de satin, surmontée d’un cabochon avec une cordiérite sublime, autour de mon cou. Il me sifflât mollement : “Je vous trouve jolie”. J’eusse voulu m’en débarrasser, hurler que j’eusse fait acte de putanisme avec vous et d’autres, que vous m’eussiez déflorée et qu’en moi se fût répandue une abondance de jets blanchâtres après une nuit d’enconnements ! Mais il m’en fût impossible ; je me contentasse de sourire naïvement, tout en pensant à votre tête rubiconde, et je ne fais là point référence à votre visage de Tieffelin.
Aidez-moi, il me faut un plan pour m’échapper de Daeron. Je vous embrasse sans oublier nul recoin de votre peau,
Votre dévouée Naria
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À l’adresse de sa Grâce, la Duchesse Naria de Falcourt,
Par le Vicomte Dorian de Vesperlin, ce vingtième jour du mois de Fertitas.
Ma délicieuse Naria,
Quelle ivresse me saisit en parcourant les méandres de votre missive ! Vous me transportez, une fois encore, dans l’arène des passions débridées, où la volupté se mêle à l’ardeur de nos désirs. Que l’on se moque des convenances et de la retenue, je me plais à saluer l’audace que vous déployez en vous laissant aller aux bras de cette ribambelle de libertins. Oserais-je dire que l’excès de votre appétit ne saurait que me susciter une jalousie douceâtre, tant vous vous abandonnez aux plaisirs défendus avec une insouciance qui enflamme le sang.
Ah ! La nuit que vous décrivez, telle une épopée charnelle, n’était-elle pas aussi la mienne ? Que ne fusse-je un spectateur de vos ébats, assistant à ce banquet où vos cuisses s’entrouvrent, comme de fragiles pétales de rose, sous les assauts de ce minois de serpent au langage suave, puis subissant les assauts forcenés du suceur de sang sans coup férir, ainsi que les attentions du féroce écailleux !
Je dois avouer que je me sens presque flatté par votre goût pour le mal, même si je me permets d’en revendiquer une part, car vous savez combien je sais faire trembler les murs de l’éthique avec mes caresses et mes murmures.
Permettez-moi d’ajouter un doux secret à cette agitation. Ce n’est point un simple caprice qui me guide ; je crains que la passion ne vous dévore, si ce n’est par mes soins. D’aucuns pourraient dire que l’on ne peut posséder une créature telle que vous sans en porter les chaînes. Ainsi, je propose que, sous l’éclat de la lune, je me faufile dans l’alcôve de vos pensées et dans les recoins de votre corps, tout en amenant avec moi un tribut de plaisirs inédits sous la forme de quelques substances récréatives qui, je l’espère, vous ouvriront des horizons nouveaux.
Ah, mes pensées, telles des flèches, volent vers l’envers de votre douce chair, et je ne puis que m’en réjouir, alors que je vous imagine, la tête jetée en arrière, hurlant de plaisir sous le doux poids de mon corps. Oui, il est vrai que ma convoitise s’éveille à l’idée d’un retour à l’étreinte, où vous découvrirez le délice effréné d’un assaut plus… surprenant, devrais-je dire, car je compte bien pénétrer chaque recoin de votre âme.
Nous prendrons aussi le temps d’aborder avec plus de sérieux qu’il n’en mérite, la situation concernant votre fade soupirant. Il est naturellement des choses qu’il est inconvenant de poser sur des courriers emplis de passion. Peut-être aurions-nous à élaborer un stratagème aussi affriolant que perfide. Votre encombrant ami apprécie-t-il la chasse ?
Je vous attendrai, impatient et ardent, avec la promesse de délices encore inexplorés. Laissez-moi être le complice de vos folies, votre guide dans cette danse du plaisir.
Avec tout le désir que j’éprouve pour vous,
Votre dévoué,
Dorian, Vicomte de Vesperlin
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Le jour même où la Duchesse Naria eût reçu la missive, le Vicomte de Vesperlin reçût aussitôt par une colombe argentée une réponse à sa proposition des plus indécentes.
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À l’adresse du Vicomte Dorian de Vesperlin, par la Duchesse Naria de Falcourt, le vingtième jour du mois de Fertitas
Mon splendide Vicomte,
Vous, un homme jaloux ? Que l’on me pince le cuissot, je crois rêver ! C’est ici l’histoire d’un magnifique repas où six cents plats divers s’offrent à mon appétit. Est-ce que je devrais tous les goûter ? Non, sans doute, mais ce nombre prodigieux étend les bornes de mes choix, et, ravie de cette augmentation de facultés, je ne m’avise point de gronder l’amphitryon qui me régale.
Rassurez-vous, mon doux, vous êtes le meilleur plat que je n’eusse jamais goûté. Néanmoins, j’aime varier les plaisirs, et c’est bien là de votre faute si je suis devenue aussi insatiable.
Ce n’est point dans l’abondance que je me perds, mais dans l’art de savourer chaque délice avec la lenteur la plus exquise possible. Ne croyez pas que ces autres mets me détournent de vous, ô mon unique festin ! Bien au contraire, ils ne servent qu’à attiser la faim, à faire languir mes sens jusqu’à ce que, enfin, je puisse m’abandonner tout entière à votre perche de chair, tel un dessert que je réserve pour la dernière bouchée. Car vous le savez, mon cher Vicomte, c’est bien vous qui régnez dans mes pensées, le seul capable de m’apaiser lorsque mon corps et mon esprit se consument du désir que vous inspirez.
Encore hier, j’ai pris mon bain afin d’effacer toutes les traces que vous eussiez glissées dans l’intégralité des orifices ornant mon corps – sauf le naseau, et je vous en remercie – et je pensais à vous. Autant vous dire que j’eusse rajouté de l’eau à ma toilette ! Ah ! Quelle volupté, quel plaisir infini ! Je meurs !
Quant à votre proposition, si audacieuse, elle n’a pas été sans éveiller en moi une curiosité ardente, et c’est pour cela que je me fusse hâtée à vous répondre ce jour même. Je n’eusse point nié que lire votre idée de me laisser enchaînée m’eût troublée délicieusement ce matin. Cependant, prenez garde, car si vous vous glissiez dans l’alcôve de mes pensées, soyez assuré que vous n’en repartissiez jamais indemne : je me monstrifiassse, je le sens hélas bien. Un monstre qui a faim, toujours, tout le temps. Tous les cierges de ma bibliothèque y sont passés.
Quant aux plaisirs que vous invoquez, sachez que ce ne fût point dans l’oubli des sens que je trouve mon ravissement, mais bien dans la lente exploration de chaque frisson que vous pouvez susciter en moi.
Alors, je vous attendrai cette nuitée au Carré des Lys Noirs, lorsque l’horloge sonnera une heure : ainsi, Mère ne se doutera de rien. Je me vois dans l’obligation de vous prévenir : ne foutrez pas aujourd’hui, je suis affamée, et je vous dévorerais dans tous les sens que ce terme peut porter.
Après notre saillie, il faut que nous parlassions de Daeron. Emmenez-le à l’ouverture de la chasse, le vingt-troisième jour de Fertitas. Trouvez une solution, mon ami. Je ne peux rester ainsi !
Je vous aime,
Naria, Duchesse de Falcourt
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À l’adresse de la Duchesse Naria de Falcourt, par le Vicomte Dorian de Vesperlin, le vingt-sixième jour du mois de Fertitas.
Ma féline adorée,
Vous me pardonnerez, j’en suis certain, l’ardeur avec laquelle j’ai accueilli votre requête, et j’ose espérer que le résultat de mes efforts saura satisfaire votre désir d’éloignement définitif. Je n’ai point de mot plus tendre qu’achèvement pour décrire ce que je viens de faire de notre cher Daeron. Sachez qu’à la dernière, ce fat s’est vu périr non point dans la rapidité d’une lame ou la décence d’une flèche en plein cœur, mais dans le chuchotement cruel et calculé de mon sadisme le plus dévoué.
Imaginez, ma douce Naria, notre victime vacillant dans le sous-bois, dissimulant à peine sa panique sous un vernis d’honneur. Il fut d’abord question de l’égarer, de l’isoler, et je l’ai observé se perdre dans les recoins les plus sombres, là où les racines se tordent comme des serpents rampants, pour que l’effroi s’insinue en lui, comme un poison subtil. C’est là, sous le couvert des chênes centenaires, qu’il trébucha, et je crus voir passer en son regard cette lueur terrifiée qu’il dissimulait si mal.
La suite, ma chère, n’a point manqué de raffinement. Je lui décochai d’abord une flèche, juste sous l’aisselle, là où la chair est tendre et l’os se laisse pénétrer avec une douceur amère. Il cria, oh ! il cria, mais les sons s’éteignaient entre les arbres, étouffés par l’épaisseur du silence. Et moi, lentement, je pris tout mon temps pour le rejoindre. Chaque pas vers lui, chaque craquement de feuille sous mes bottes, je crois que cela l’éventrait plus sûrement qu’une dague bien placée. Il suppliait, mais d’une voix que je peinais à entendre, tant il baignait déjà dans le sang. Je lui décochai alors une autre flèche, au genou cette fois, de sorte qu’il ne puisse plus se relever, se tordant comme un animal blessé.
Mais, ma précieuse Naria, ce n’était point fini. Je lui arrachai son poignard, ce ridicule jouet de parade qu’il portait en bandoulière, et le lui plantai, sans précipitation, au creux de la gorge. Le sang qui jaillissait de son cou avait cette teinte carmine, douce et presque écœurante. Et ses yeux… ah, si vous aviez vu ses yeux, ma tendre ! Cette horreur muette, ce supplice déchiré, ce dernier instant où la certitude de sa fin s’empara de lui, définitive et sans retour.
Tout ceci n’était rien qu’un prélude, une offrande à votre tranquillité. La terre, en cet endroit, s’abreuve désormais de la dernière liqueur de ce malheureux, et je dois avouer que la noirceur de cet acte m’a laissé, non pas repu, mais désireux de me noyer dans vos bras comme jamais auparavant. Car c’est vous seule, mon unique Naria, qui insufflez à mes penchants leurs plus cruelles ambitions.
Je ne saurais feindre d’avoir regretté un instant ce tourment que je lui infligeai. Au contraire, je vous en remercie, car en ce moribond j’ai entrevu un festin rare, une offrande qui porte votre nom à chaque goutte de son sang répandu.
Je nourris déjà de nouveaux projets pour nos retrouvailles, où je me promettrai, cette fois, de ne laisser aucune partie de vous en paix. Mon esprit est hanté par l’idée de voir ce corps si docile, soumis à mes volontés les plus noires, tandis que vous m’imploriez, chuchotiez, voire rugissiez — car oui, Naria, je sais qu’il est encore des parties de vous que je n’ai point pleinement possédées, des obscurités inexplorées que je me ferai un devoir de violer.
Ne vous alarmez point de ma fougue, ma douce, car vous seule en portez la responsabilité. C’est vous qui m’avez forgé dans ces ferveurs, vous qui m’avez enchaîné à cet abîme d’un désir aussi inassouvi qu’insatiable. Aussi me permettrai-je, lors de notre prochain rendez-vous, de marquer plus profondément encore les empreintes de cette passion. Peut-être amènerai-je avec moi une lanière de cuir, pour vous contraindre dans une posture exquise où chaque fibre de votre être répondrait à mes coups comme un violon à l’archet.
Enfin, avant de clore cette lettre, je ne puis résister à évoquer notre prochain projet. Imaginez un cadre digne de notre appétit insatiable, quelque château obscur à la périphérie, où, sous le regard taciturne de quelques témoins, je ferai de vous l’objet de mes délices et de mes perversions, un banquet où chaque recoin de votre être serait sacrifié sur l’autel de notre union.
Soyez assurée, chère Naria, que vous êtes et resterez mon unique festin, le seul capable de me rassasier tout en exacerbant ma faim.
Dans l’attente impatiente de ces promesses exquises,
Votre dévoué, à jamais,
Dorian, Vicomte de Vesperlin
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Quelques jours après, le Vicomte de Vesperlin reçut dès l’aube d’une petite colombe rose, une lettre dont l’écriture était si tremblotante qu’il était presque compliqué de comprendre l’intégralité du contenu.
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À l’adresse du Vicomte Dorian de Vesperlin, par la Duchesse Naria de Falcourt, le premier jour du mois de Silva
A mon Vicomte,
Je dois reconnaître que j’ai tardé à vous écrire, eussé-je su à quel point nous sommes proches de l’explosion que mes nerfs eussent lâché depuis longtemps. Mère est absolument terrifiée du décès tragique de Daeron, elle a commencé à chercher quelques sicaires pour investiguer sur les circonstances abominables de la mort de ce dernier.
Oh, mon aimé ! Comme j’ai peur ! Je me dois de ruminer en silence. Comment lui eussé-je caché la vérité encore longtemps ? Daeron n’eût pas été seulement une victime du sort ; non, sa disparition eût été une tragédie qui pesât lourdement sur nous, et je crains que les ombres de cette affaire ne finissent par nous engloutir vous et moi.
Mais il est une chose, une seule, qui me glace plus encore que la trahison de notre secret : l’idée même que vous puissiez être condamné, tué pour nos actes. Je le dis sans détour, je préférerais mille fois mourir que de vous voir tomber sous la lame de quelque bourreau ou, pire encore, sous les ordres de Mère elle-même. Quelle torture ce serait de vous perdre ! Et que l’on me traîne en chaînes, que l’on m’enferme dans les geôles les plus sombres de ce royaume, je préférerais me plonger une dague dans le cœur que de subir cette honte. Mourir, oui, plutôt que de vivre sans vous ou dans l’attente insupportable de votre fin.
J’en appelle à votre sagesse, à votre ruse. Trouvez un moyen de détourner ces fouineurs de la vérité, avant que le sang de Daeron ne rejaillisse sur nos propres mains. Vous seul eussiez pu me sauver de cette tempête qui grondât à l’horizon, et je place toute ma confiance (et mes émois) en vous. Que l’heure approche où nous pourrions, enfin, nous retrouver, loin des soupçons, pour échanger non plus des craintes, mais des baisers, des mains baladeuses et de sauvages pénétrations.
Retrouvons nous devant le crépuscule rougeoyant, au Château des Sycomores, situé sur l’escarpement rocheux sous lequel coule le Lac sans Fond. Nous n’y serons point à l’abri des regards et des bondieuseries, mais le niveau de perversité des hères présents là-bas est similaire au vôtre. J’ai besoin de votre chaleur, même si le temps est doux, j’ai si peur que vous soyez découvert. J’ai avec moi un poignard et des liens de soies.
A ce soir, mon éternelle envie,
Naria, Duchesse de Falcourt
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Chronique de Mestre Pérignac Levantin
L’Affaire des Échanges Emrilliens – Une tragédie entre perfidie, luxure et folie occulte
Dans les fastes et les turpitudes de l’année 1273, il est peu d’événements qui aient secoué les esprits avec autant de véhémence que ce que l’on nomme désormais, avec un frisson non feint, l’Affaire des Échanges Emrilliens. Cette affaire, épouvantablement captivante dans son horreur et tragiquement humaine dans sa profondeur, cristallise en ses lignes étiques la dépravation de l’âme et l’absolu abandon à des passions licencieuses.
Qu’on me permette, avant d’en venir aux déplorables conclusions de cette affaire, d’en tracer les grandes lignes avec la précision et l’érudition qu’exige une matière aussi riche.
Du commerce des plumes au commerce des âmes
Il n’est de secret pour personne que la Duchesse Naria de Falcourt, figure de grâce et de noblesse, incarnait la quintessence d’un monde où les mœurs se drapent de décence pour mieux cacher les abîmes de lubricité qui en constituent le socle. En cette belle année 1273, alors qu’elle était promise à nul autre que le Chevalier Daeron de Madelgarde, parangon de vertu et de bravoure, elle entreprit une correspondance avec le Vicomte Dorian de Vesperlin, dont la réputation — déjà peu reluisante — allait, sous le poids des révélations à venir, sombrer dans des abysses que seuls les esprits les plus noirs osent contempler.
Les premiers billets entre les deux amants, retrouvés par l’enquête menée sous la férule vigilante du prévôt Aristide de Ronsac, dévoilent une tendre inclination, teintée d’une poésie certes naïve mais sincère. Or, hélas, ce qui débute dans la clarté des sentiments finit bien souvent dans l’opacité des desseins. Les échanges, au fil des jours, virèrent à une prose d’un érotisme débridé, puis, plus alarmant encore, à la planification froide et méthodique d’un meurtre.
La lettre fatale : un chef-d’œuvre de barbarie épistolaire
Le vingt-sixième jour du mois de Fertitas, le Vicomte Dorian, dans un élan de perversion littéraire sans égal, adressa à sa maîtresse un récit détaillé du meurtre du Chevalier Daeron. Ce texte, si j’ose l’appeler ainsi, se distingue autant par son contenu d’une cruauté glaçante que par une plume empoisonnée, chaque mot suintant le sadisme et l’égotisme d’un esprit dérangé.
Permettez-moi ici une brève citation, pour que le lecteur prenne la pleine mesure du mal :
« Je lui décochai d’abord une flèche, juste sous l’aisselle, là où la chair est tendre et l’os se laisse pénétrer avec une douceur amère… »
Cette phrase, ainsi que le reste de la lettre, révèle non seulement la perfidie de l’acte mais aussi la délectation que l’assassin en tira, jetant sur lui une lumière d’une insupportable monstruosité.
Une dernière lettre et des rendez-vous infernaux
Quant à la Duchesse Naria, son ultime épître, d’une tremblotante main, reflète l’effroi croissant qui s’était emparé d’elle. Si la peur pour sa propre survie y transparaît, elle demeure avant tout préoccupée par le sort de son amant, l’implorant de détourner les soupçons tout en acceptant un dernier rendez-vous au Château des Sycomores.
Ce château, lugubre bastion érigé sur les rives du Lac Sans Fond, devint le théâtre d’événements encore plus horrifiques. Une partie fine d’une dépravation indicible y fut interrompue par la garde régine, qui découvrit non seulement des actes obscènes mais également des préparatifs d’un rituel de sorcellerie.
Des conséquences voilées pour le bien du Royaume
Le scandale, bien qu’inévitable, fut contenu grâce à l’influence de puissantes figures de la cour. La Duchesse Naria fut contrainte de prendre le voile dans un couvent de l’Ordre de la Paix Silencieuse, dédié à Gandalma, déesse de sérénité et de rédemption. Quant au Vicomte Dorian, il fut exilé en son domaine de Cimambroise, où il disparut des regards, abandonnant derrière lui des rumeurs de spectres et de malédictions.
Une leçon pour les âges
L’affaire des Échanges Emrilliens, si elle choque encore par ses révélations, doit être lue non comme une simple anecdote de dépravation mais comme une mise en garde contre les dangers des passions incontrôlées et des ambitions criminelles. Que les plumes se meuvent avec plus de prudence et que les cœurs restent fidèles aux sentiers éclairés, car dans l’ombre rôdent toujours des abîmes où se perdre.
Ainsi conclut votre humble serviteur,
Mestre Pérignac Levantin.