Journée Gongienne [1557 C.M]

Udash soufflait sur sa tisane aux algues brûlante, pendant que sa femme faisait la gueule à l’autre bout de la table. En même temps, il se gratouillait le coin des yeux pour en enlever les sécrétions nocturnes toutes sèches et dures et en fit tomber une grosse dans son bol, tellement grosse qu’elle fit un petit plif en plongeant dans le jus verdâtre.

T’es vraiment un gros dégueulasse, j’te jure, voir ça dès le matin franchement.

Déjà rien que ta tronche c’est dur mais là pompon, sale porc !  balança sa femme qui jeta sa cigarette dans sa tasse. 

Udash la fixa d’un regard sans colère, but une grosse lampée de sa boisson brûlante, estimant que ça valait le coup de se brûler le gosier, puis la reposa avec désinvolture sur la nappe à carreaux tachée en poussant un râle satisfait. Le menton fier, il regarda sa femme d’un air triomphant, sa grosse poire fendue d’un sourire de gamin nanananèrant, à la suite de quoi elle se leva d’un coup, les deux mains posées sur la nappe qui se serrait les carreaux de trouille, et renversa la table d’un magistral coup de pied suivi d’un hurlement suraigu directement poussé par le doigt de pied voisin du gros orteil qu’elle venait de fracturer. La table valdingua et Udash se reçut la tisane fumante sur le caleçon où dormaient encore ses parties toutes molles, ce qui lui fit pousser un bêlement. 

Là-dessus, Rustine regagna la chambre à cloche-pied et s’y enferma en claquant la porte. Les voisins martelèrent sur les murs en torchis, pour participer un peu, et on put entendre à nouveau les bardes Gongiens qui hurlaient dans cette ville particulière nommée Palméole.

Sur un fond de trémolos surannés, Udash se rassis sur sa chaise, au milieu des décombres du petit-déjeuner, et se dit qu’il était prêt à passer une véritable journée de merde.

Il se doucha en plaignant sa petite zigoune toute rétractée, son appendice génital de Téhun tout rouge, s’habilla rapidos et sortit sans prendre la peine de se laver les dents parce que de toutes façons, il ne draguerait personne, et que même s’il le voulait, il était sûr que personne ne serait d’accord, sauf peut-être Delphine qui officiait sur les bars de la plage, mais elle sentait quand même un peu bizarre même pour lui.

A l’étal du 5ème embranchement de la grand place Palméolienne, il retrouva le vieux Samir, un Elazhien édenté, qui lui, n’essayait même plus de petit-déjeuner avec sa femme. Ils se saluèrent, et partirent d’un pas déréglé au turbin.

– Tu marches un peu bizarrement, t’as la colique ou quoi?

– Nan, on s’est engueulés avec Rustine et elle m’a renversé mon thé sur les

couilles, maintenant ça me fait mal quand ça frotte.

– Hé bé mon vieux, elle a de l’idée quand même. Tu lui en as collée une ?

– Boarf, même pas la peine, je crois qu’elle s’est cassé un truc en tapant la table.

Bien fait.

– Ouais, bien fait.

 

Ils arrivèrent enfin à la calèche commune qui amenait à la plage de la Baie du Gong, là où se déroulent les activités culturelles de la ville, et passèrent les tourniquets en bois branlant. Par chance, se trouvèrent des places pépères côté rue pour regarder au travers, ce qui leur permettaient de ne pas se sentir obligés d’entretenir une conversation qu’ils n’avaient pas.


Udash se disait que la calèche devait pas être très bien entretenue parce que ça bringuebalait plus que d’habitude, et qu’il avait sacrément mal à la beuteu, tandis que Samir espérait qu’il y aurait des crabes frits, et que si y’en avait, que Delphine lui mettrait un peu de rab’ en tentant de le zieuter avec sa gueule de moche.


Leurs regards erratiques couraient le long des tentures qui coulissaient elles aussi le long des murs semés de graffitis qu’on avait pas le temps de lire à cause de la vitesse des chevaux, sans parler des typographies tarabiscotées et surtout qu’on était dans une ruelle Palméolienne et pas dans une galerie d’art, bien que dans les galeries d’art des bobos bourgeois d’Emrill, se retrouvent aussi des graffitis… mais ça, eux deux s’en foutaient complètement. 


La calèche hors du dédale du cinquième embranchement afin de sortir de Palméole, et tout le monde se sentit mieux.
La ville avait beau être moche, quand elle se présentait à vous sous la forme d’un décor de manège, ça donnait tout de suite un attrait particulier, comme tout ce qu’on présente dans un cadre, de l’art Emrillien chiant par exemple, mais n’en parlons plus.

Le sourcil gauche de Samir se dressa sur sa binette creusée.


Oh putain de merde, Ud’, regarde !

– Hein ? gargouilla Udash, qui se demandait ce qu’il se passait, alors que ses baloches gonflaient comme des ballons.


Un Worg gigantesque faisait du sur-place un peu plus loin sur une petite butte de sable. Le conducteur de la calèche freina manu-militari, et tous furent projetés n’importe comment façon macédoine humaine dans un super gros tupairouare. Quelques os furent brisés durant l’opération, mais dans l’ensemble, les douze voyageurs de la calèche allaient bien, certains profitant même de l’occasion pour peloter le voisin. Un gros demi-orc au sexe indéfinissable descendit de sa monture lupoïde monstrueuse qui faisait claquer sa mâchoire, et tint en joue les chevaux de tête avec une grosse masse cloutée, du genre de celles qui coûtent pas cher mais font des gros trous, pendant que d’autres encerclèrent l’attelage. Tous portaient un emblème tout frais avec un dragon d’obsidienne aux yeux cinabres. L’une d’elles se glissa dans le fiacre, puis brandit un sabre qui lui descendait jusqu’au bassin, où chutait également également une superbe chevelure couleur de jais fournie qui s’accordait étrangement bien avec son faciès de reptiloïde. Les Shakrass étaient rares, sûrement l’une des races les plus rares des Contrées d’Izuvis, et celle-là était pimpée : corsage qui soulignait sa taille svelte, petit pantalon brou de noix, et le plus original : un rubis enchâssé dans son orbite droite. 


La créature troublante posa le pied sur un sac échappé d’un des voyageurs, et s’adressa à son auditoire, entourée de son équipe de demi-orcs et de Téhuns.


-Bon, maintenant, c’est simple. Vous faites ce qu’on vous demande, ou sinon, panpan cucul, c’est clair ?

 

Sa voix était un peu étrange, d’un viril cristallin, mais personne n’osa lui faire remarquer. De petits oui-oui couinants s’échappèrent de l’assistance.


– Alors toi, toi, toi aussi le flasque, et puis toi là-bas, vous voulez levez tranquillement, et vous vous mettez en rang.

 

Udash – vexé du sobriquet de flasque – et Samir faisaient partie des individus choisis par la reptile. Ils se redressèrent mollement, et allèrent rejoindre le rang tremblotant. Udash profita de l’occasion pour constater qu’il n’avait pas mouillé son pantalon. La Shakrass ouvrit un sac en cuir anthracite, et en sortit deux illustrations charbonnées exécutées sur du gros grain. La première était une composition hasardeuse d’une équipe étrange, un peu façon cour des miracles : une Elazhienne noire comme les freux, un Orc macrocéphale, un Téhun original et un Halfelin probablement périmé par l’âge. La deuxième, quand à elle, était le portrait d’un homme aux cheveux sombres, dont un petit cœur avait été griffonné sur le côté gauche du crayonné exécuté avec une certaine frénésie si on prenait en compte les ratures et autres trous de mines. 


Premier point, les débiles. Je recherche activement ces 4 infâmies aux faciès de pleutres. Ils se font appeler les Aventuriers de La Lance Brisée… Secondo. Ce dessin représente le contremaître Tom Harkness, désormais aux commandes de l’Oeil de Rubis, un vaisseau Réhalien. Lui et le bateau sont introuvables.


Elle se dandina lascivement alors que son conciliabule d’otages avait les yeux rivés sur la terre battue. 


– Maintenant, trio. Videz vos bourses. Et pas dans le sens cochon du terme, viles bestioles.


Udash se rendit compte d’un problème de bouton de veste qui allait lâcher à cause de son embonpoint. C’était un bliaud offert par son épouse, qui lui avait toujours interdit de l’abîmer : ses mains moites glissèrent alors sur les pans du vêtement, et, dans un soupir de soulagement, se redressa. Son gros bide tendit le tissu, et malgré ses efforts pour retrouver ses muscles abdominaux et les contracter, le bouton de fer céda, dévoilant son maillot de corps d’un blanc douteux tacheté de beige.


La Shakrass partit d’un éclat de rire au timbre grave, toussota et s’avança vers Udash, dont les jambes de Téhun flageolaient comme celles d’un gosse qui sait qu’il va s’en prendre une sévère. Elle posa la lame de son arme sur le losange de coton, le fit courir doucement jusqu’au nez couperosé d’Udash, et brusquement lui retourna une gifle sonore comme il n’en avait pas eu depuis au moins douze lunes. Habitué par sa femme, mais surtout transi de peur, il ne cilla pas.


– Alors, porcelet marin, on aime bien la tarte à la salicorne, hein ? Hahahahaha ! elle s’appliqua dur comme fer à maintenir le timbre de son rire machiavélique.


Son équipe de gros bras se saisit des effets personnels des voyageurs, qui laissèrent encore échapper des oui-oui dociles. Personne ne comprenait rien à ce qu’il s’était passé et voulait juste partir festoyer sur la plage, sauf Madame Marchaoui, qui venait d’avoir une attaque discrète et de passer à trépas dans l’indifférence générale.


Allez, n’oubliez pas, les résidus de bidet. La Lance Brisée, et Tom Harkness. Forte récompense. Tous les tenanciers et capitaines sont déjà au courant, lança la créature, avant de sauter grâcieusement sur le Worg déjà monté par le demi-orc à la gueule podagre. Derrière elle, un parfum capiteux de cannelle et d’encens s’épanouissait dans l’air.

Les pirates s’éloignèrent, et le conciliabule s’emplit d’un brouhaha mêlant stupéfaction, soulagement et tons indignés, sans parler des viocs qui s’étaient remis à geindre… sauf Madame Marchaoui, qu’on croyait seulement évanouie et incontinente.


Bah putain, les gars ils ont de l’oseille quand même, la zouz elle a carrément calé un rubis dans son orbite.

Moi je lui aurais bien calé la bite dans le…


Samir s’arrêta en découvrant que la reptiloïde avait laissé ses gribouillages sur le sol. Il plia délicatement les deux missives, et les glissa dans sa poche arrière.


– Faut qu’on aille à la plage, on va pas râter les crabes farcis de la grosse Delphine.

– Oui c’est vrai, j’ai tellement la dalle que je boufferais la Toulimar. Toutes ses émotions là. Et puis rentrer, avec Rustine qui est en pétard. Elle était pas mal, la pirate, quand même.

– Ouais, elle avait de beaux cheveux. Elle m’a rappelé ma cousine Yasmina avant qu’elle n’ai une portée de cinq. D’ailleurs, une fois, au bled, on s’était cachés derrière les figuiers, et…

 

Le bruit de la calèche renversée qu’on replace droitement couvrit leur conversation.

– Alors moi tu penses bien que j’étais d’accord, mais j’avais jamais essayé. Alors je lui ai attrapé ses…

 

Maintenant, c’était le bruit strident des roues qui fit preuve d’une grande pudeur en survenant à ce moment du récit. Arrivés sur la plage Gongienne, ils pouvaient voir les auberges offrirent des chambres où les matelas sont aussi confortables qu’une planche de frêne, le tout couvert d’une odeur de bière rance, de sueur et d’espoirs perdus. Les mange debouts étaient tous branlants, des fanions délavés étaient attachés de part et d’autres de palmiers tordus, et l’on pouvait entendre des marchands vendant des poignées de sable en jurant aux consommateurs que c’était de la mariole.


– On arrive pile au moment des crabes farcis, on dirait. Par contre, y’a une de ces files pour aller aux latrines…
– J’ai tellement mal au robinet que je suis pas sûr d’avoir envie de pisser.

– Oh beh, pour ce que tu t’en sers, dis !

– Ah parce que toi, tu baises vachement, c’est vrai, excuse-moi. En même temps, vu la dégaine de ta grosse…

– Eh le Téhun, je t’aime bien, mais on ne vise pas les femmes !

 

Ils se turent, un peu fâchés, et continuèrent à progresser le long de la plage qui était drôlement longuette.

Quelques centaines de mètres plus loin, l’écho de rires gras fit se retourner Udash.


– Bordel mais c’est pas possible, s’écria-t-il, qu’est-ce que qu’on a fait à la Toulimar ?

– Quoi ? Qu’essya ?

– Te retourne pas, y’a encore des mecs avec un Dragon d’obsidienne aux yeux d’aniline qui nous suivent.

– Foutrepute, c’est pas possib’. Yeux d’aniline ? Tu parles bien, dédiou.

 

En effet, trois demi-orcs les talonnaient de quelques foulées.

Hé les débiles, cria l’un d’eux,

Dis donc, le gros, tu roules bien du cul, alors comme ça on matte notre Capitaine ? Tu veux te la faire, la Shakrass ?

 

La confrontation était inévitable, et les dissuada de toute velléité de fuite.. Les antagonistes, très intimidants, les encerclèrent. Leur pilosité, minutieusement entretenue, suggérait qu’une main experte, telle celle d’une élégante femme maniant le rasoir avec une précision chirurgicale, s’était affairée à parfaire leur apparence. Ils étaient entièrement engoncés dans des cuirs moulants arborant l’effigie nouvellement brodée d’un dragon d’obsidienne. Leurs bottes, lacées avec une exactitude quasi militaire, et les chaînes qui pendaient à divers endroits de leur équipement complétaient leur allure martiale.


– Un Téhun original, comme c’est drôle ! T’as capté que la Cheffe recherche un comme toi, un rouge aux tâches de naissances atypiques ? Un cousin à toi, non ?

 

Les deux amis ne surent que répondre. En plus, Udash n’avait pas de cousins, bien qu’il possédait un arbre généalogique en forme de cercle.  

– Laissez-nous, on veut juste aller se détendre sur la plage, on est pas…

 

Le demi-orc colla une vilaine mandale à l’Elazhien dans le foie, ce qui le fit se plier de douleur dans un cri étouffé.


– Putain, Samir ! Z’êtes vraiment des nazes, on l’emmerde, vot’ Capt’ai…


L’un des autres pirates interrompit le Téhun d’une grosse pêche dans la mâchoire, et le déluge de coups commença. Ils les savatèrent pendant une trentaine de secondes, qui sembla être une demi-heure à nos pauvres camarades qui eurent eu le bon réflexe de se laisser choir à terre et de se protéger le visage de leurs bras croisés.


Rogan, ça suffit, ils ont leur compte, et tu vas t’abîmer les mains. Et tu sais que j’aime tes mains…
Oh, Dagog, Carguk a raison, on décalque. En plus, c’est bientôt l’heure des histoires de Max, et c’est le deuxième chapitre d’Ecumes & Soupirs qu’elle va nous lire !


Ils s’éloignèrent, laissant les deux zigotos dans le sable, roulés en boule comme des étrons. Cette fois, Udash n’en doutait pas : il avait trempé son porte-zob. Leurs corps n’était plus qu’une articulation de douleurs variées, et leurs bliauds maculés de sang passaient moins bien auprès des touristes et visiteurs Gongiens. Bras-dessus bras-dessous, ils chancelèrent jusqu’au bout de la jetée, où se trouvait le stand de Delphine et ses fameux crabes frits. 

Delphine les accueillit avec son habituel sourire de travers, un mélange d’amusement et de pitié qu’elle réservait aux éclopés de la plage. Ses fameux crustacés décapodes frits croustillaient joyeusement dans la poêle grasse, diffusant une odeur qui aurait pu réveiller les morts – ou les achever, selon les goûts.


– Eh bah, z’en faites une tronche, boudiou. C’était soirée cris et chuchotements ou bien ?

– Oh eh la gueuse, ça suffit ! s’indigna Udash, qui regretta d’avoir ouvert la bouche trop grande sur le “Oh” parce que ses mandibules étaient encore enflées.


Pendant que Delphine tenta de les retaper en frottant son torchon sale imbibé de gnôle sur leurs blessures, ils considérèrent l’infamie qui s’abattait sur eux. Leur réputation était foutue, il leur faudrait des années avant qu’on arrête de croire que… Bref. Quand même, eux, des durs de durs, c’est pas juste.

Il s’assirent à des tables diamétralement opposées, feignant d’ignorer les rumeurs amusées des Gongiens qui couraient dans les rangs, et se plongèrent dans une hébétude qu’ils n’eurent pas de mal à atteindre, à cause des coups, de la gnôle, des crabes et d’une certaine propension à ne pas trop penser.

Udash ne mangea que quelques cuillerées de lentilles avec son crabe qui était si dur qu’on aurait dit un gros caillou. Il n’avait de toute façon pas très faim, à cause du coup dans le ventre et de la honte. Samir avala avec difficulté son assiette, compte-tenu de l’état de sa mâchoire.

Mais cependant, il gardait l’espoir que cette journée ne soit pas complètement fichue. En homme modeste, son bonheur tenait à de petites choses, le soleil pouvait encore briller pour lui. Et son espoir arrivait, fumant, sur un étal à roulettes que poussait une grosse femme aux aisselles auréolées dont le visage luisait d’une sueur grasse sous le zénith.

Elle lui jeta un regard dédaigneux.


Eh, t’es moche comme un aventurier, toi. Y paraît qu’une lézarde éclopée cherche des gens pour en retrouver d’aut, avec eun’ forte récompenche. Elle va arriver là, jlui dirais de v’nir te voir.

Bon. C’était vraiment une journée de merde, conclut Udash, en aspirant son brachyure.

par Kax